Waouh, deux projets assez cools ont récemment émergé dans le domaine de la musique générée par Intelligence Artificielle : MusicLM, dévoilé par Google, rivalise avec MusicGen, développé par Meta. Tous deux sont des modèles d’IA génératifs qui utilisent la puissance de l'apprentissage automatique (le deep learning, pour les intimes) pour transformer des descriptions en compositions musicales, c’est à dire créer des extraits musicaux à partir de simples descriptions textuelles. C’est plus ou moins l’équivalent de Midjourney ou Dall-E, mais en musique. Imaginez ! Avec ces modèles, il est possible de transformer des phrases comme "une mélodie apaisante de violon accompagnée d'un riff de guitare distordu" en une composition musicale complète de qualité sonore impressionnante (pour ce qui est de la qualité artistique je vous laisse juges).
Révolutionnaire, cela permet à chacun d’entre nous - musiciens dans le coeur mais pas dans la pratique - de laisser libre court à notre imagination et d’écouter ce qu’il en sort. Qu’imaginez vous derrière “orchestre d’un doigt coincé dans une porte” ou “sonate à la couleur d’une soupe au lait” ?
Les modèles permettent aussi de créer des chansons “à la manière” d’artistes célèbres (ce qui peut poser des problèmes éthiques, de copyright et de droit d’auteur, on y reviendra) et peuvent être conditionnés à la fois par un texte et une mélodie existante. Cela permet de transformer des mélodies sifflées ou fredonnées dans n’importe quel style décrit par du texte (allez checker “Text and Melody Conditioning” de MusicLM, c’est cool).
🎵 La musique
Ces percées dans le domaine de la création musicale sont d'autant plus remarquables que la musique, en tant qu'expression artistique complexe, a toujours été le fruit d'une intention humaine soigneusement orchestrée. La musique se distingue du son, vibration perçue par l’oreille, par une organisation intentionnelle et structurée de sons dans le temps. Elle résulte de la combinaison d'éléments tels que les mélodies, les rythmes, les harmonies, les timbres, et les formes musicales. Si les sons sont omniprésents dans notre environnement, comme le vent soufflant dans les arbres, les conversations ou les bruits mécaniques, la musique est créée dans un but esthétique et artistique. Elle exprime ainsi des émotions, des récits et des intentions.
Je laisse de côté le free jazz et tout type de musique expérimentale qui demanderaient beaucoup plus que cet article pour être abordés correctement.
Petit aparté historique pour ceux qui aiment les remises en contexte : l'évolution de la musique à travers l'histoire a été marquée par des changements significatifs dans les techniques de création et les instruments. Les premières formes de musique utilisaient des instruments rudimentaires fabriqués à partir de matériaux naturels, comme des tambours en peau d'animaux et des flûtes en os. À partir du Moyen Âge, dans le monde occidental, l'utilisation de la notation musicale n’a cessé d’augmenter pour enregistrer les compositions, ce qui allié à l'invention de l'imprimerie a permis une plus large diffusion de la musique et la standardisation des notations. (+ ça se diffuse + ça devient standard, et + c’est standard + ça se diffuse. Waouh la mondialisation. On est pour ou contre. Mais ce n’est pas le sujet ici.)
Avec l'introduction de l'électricité ⚡, le XXe siècle se distingue comme une époque de transformation radicale dans l'évolution de la musique :
- Les instruments électriques comme la guitare électrique et le synthétiseur ont redéfini les possibilités sonores.
- L'avènement de l'enregistrement audio a facilité la diffusion de la musique à grande échelle.
- Avec le numérique, les logiciels de création et de montage ont rendu la production musicale largement accessible, permettant une exploration sonore encore plus poussée, et une diffusion mondiale instantanée.
Interlude terminé, reprenons notre ballade (sacrés jeux de mots, j’avais aussi “ne perdons pas le rythme”). En somme, la musique se distingue des sons ordinaires par son intention artistique et sa structure organisée. Elle est un langage émotionnel universel qui transcende les limites culturelles et temporelles. Les moyens pour la créer, la générer, la produire et la partager suivent l’évolution des sociétés et des développements technologiques.
🧑🎨 L’originalité
Mais alors si les IA sont capables de générer de la musique, c’est-à-dire un ensemble mélodieux de sons qui provoquent des émotions, peut-on dire que les IA sont artistes ? Comme elles ne sont pas (encore) capables de faire valoir leurs droits, qui bénéficient des musiques qu’elles génèrent ?
C’est une question complexe que celle des droits d'auteur dans ce cas là. À qui sont attribuées les musiques générées ? Est-ce au concepteur de l'algorithme, au propriétaire de l'IA, à l’utilisateur qui a fourni l’input à l’origine de la musique générée ? Ou même l’ensemble des artistes dont les musiques ont participé à l’entraînement et à la génération de cette nouvelle œuvre ?
Aujourd’hui, les modèles d’Intelligence Artificielle apprennent à partir de grands volumes de données existants (= des musiques), et cela peut conduire à une influence majeure des œuvres passées sur les nouvelles compositions générées. On peut alors se demander si les nouvelles œuvres sont réellement originales ou simplement des variations des éléments déjà existants. Une oeuvre musicale générée par une IA peut-elle jamais être “originale” ? Qu’est-ce qui différencie une oeuvre générée à partir d’un grand ensemble d’oeuvres dites “originales” d’une oeuvre inspirée d’un grand ensemble d’oeuvres, qui elles même ont pu être inspirées par d’autres grands ensembles d’œuvres ? Je n’ai pas la réponse, mais c’est intéressant d’y réfléchir. Ça revient à se demander : c’est quoi l’inspiration finalement ? J’ai trouvé plusieurs définitions :
- Quelque chose qui vient du divin : 1. Incitation, impulsion d'origine divine ou surnaturelle. 2. Sorte de souffle divin qui pousse à tel ou tel acte.
- Quelque chose qui vient des autres : 1. Influence exercée sur un artiste, un auteur, une œuvre. 2. Acte de stimulation de l’intellect, des émotions et de la créativité à partir d’une influence.
- Quelque chose qui vient de soi : 1. Idée subite, spontanée, intuition qui pousse à agir d'une certaine façon. 2. Impulsion, mouvement intérieur qui pousse à agir.
On trouve donc la notion d’influence en rapport avec l’inspiration, certains dictionnaires les donnent même comme synonymes (Le Robert et Larousse, pour ne pas les citer).
Selon moi, être issu d’influences n’est pas rédhibitoire pour être qualifié d’original dans le processus créatif. Mais il faut autre chose. Or la musique, contrairement au son, est l’issue d’une intention. Une intention peut-elle être autre chose qu’humaine ? Par essence, je ne pense pas. Et l’intention est elle-même nourrie de facteurs extérieurs comme les conditions sociales, sensibles et spécifiques de l’humanité. L’évolution de la musique est faite d’inspiration mais aussi de rupture. Une Intelligence Artificielle peut donc reproduire, générer des musiques inédites avec des combinaisons uniques et inattendues, mais sera toujours dénuée d’intention. En cela, elle ne pourra pas inventer (dans le sens initial de “créer le premier, ce qui n'existait pas encore et dont personne auparavant n'avait eu l'idée”), et être à l’origine de nouveaux styles musicaux comme la rupture qu’a été le jazz.
Si l'IA émerge comme une muse moderne, générant des idées musicales originales en explorant des combinaisons harmoniques, rythmiques et mélodiques hors des sentiers battus, l’humain reste essentiel pour créer ce qui n’est pas.
Selon moi, plutôt que de la craindre, il faut voir l'IA comme un outil qui transcende les limites traditionnelles de la créativité, apportant des innovations dans une multitude de domaines artistiques.
📐 La créativité
Lorsqu’on la perçoit comme un outil, l’intelligence artificielle peut jouer un rôle en accompagnant et en enrichissant la créativité humaine de plusieurs façons. Et peut le faire très bien ! Revenons à MusicLM, MusicGen et la génération de musique à partir de descriptions. Les possibles sont vastes… On peut voir l’IA comme un partenaire collaboratif qui, à partir d’une intention humaine, génère des éléments de base qui peuvent ensuite être transformés et adaptés selon un style et une vision artistique propres au musicien, créant ainsi une synergie entre la technologie et la créativité humaine.
L’IA peut générer des idées musicales atypiques en explorant des combinaisons harmoniques, rythmiques et mélodiques inhabituelles. Le numérique et l'IA ensemble élargissent les horizons sonores : ils peuvent aider à créer des textures sonores nouvelles et uniques en combinant des échantillons et des timbres variés. Cette exploration peut conduire à la découverte de sonorités impossibles à atteindre avec des instruments traditionnels. Ainsi, les symphonies générées pourraient ne jamais être reproductibles par un orchestre du monde réel !
Si l’on s’écarte un peu des modèles génératifs, l’Intelligence Artificielle a également un impact dans la diffusion de la musique, notamment pour l’analyse des tendances et la recommandation personnalisée. Parce qu’ils peuvent identifier les tendances émergentes, promouvoir et propulser certaines musiques, il peut y avoir une tendance à orienter la création artistique vers ce qui a été identifié comme étant valorisé, plutôt que de favoriser des approches originales. Cela pourrait potentiellement limiter la diversité artistique et encourager une certaine uniformité dans la musique, au détriment de l'innovation artistique et de la singularité des expressions créatives.
🎨 Les Arts
Pour aller plus loin, la musique n’est pas le seul domaine créatif où l’Intelligence Artificielle peut avoir un impact. En matière d'art visuel, elle peut générer des œuvres uniques en imitant le style de divers artistes ou en produisant des créations originales (dans le sens pas vu ailleurs ou nouvelles, on a déjà discuté de la question de l’originalité). Le secteur cinématographique bénéficie également de l'IA pour améliorer les effets spéciaux, la post-production et même la création de scénarios en utilisant des algorithmes de traitement du langage naturel (hello ChatGPT). Dans le domaine de l'écriture, l'IA peut assister les écrivains en proposant des idées, en générant du texte et en améliorant la rédaction.
Mais au final, réduire une oeuvre à son artiste pour juger de sa qualité artistique est peut-être une erreur. Je conclurai sur cette alternative qui est proposée par Charlie Renard :
“Il semble tellement aller de soi que l’art soit un langage (in absentia) entre l’artiste et le spectateur, qu’on néglige un aspect tout aussi essentiel : la présence matérielle de ses œuvres et leur effet sur le public. Se demander s’il peut exister un art robotique, c’est dénoncer la pertinence de l’intention pour décrire la signification d’une œuvre, c’est dire que les artistes ne sont pas l’objet de l’art, c’est tuer l’artiste pour faire vivre son œuvre. Car au fond, c’est bien elle qui lui survit.”
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